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Les "Faux Contenus Magiques" : Comment l'IA, les Deepfakes, Facebook et WhatsApp menacent la paix dans nos villages en RDC

Par Ir. Modeste LUKUSA 27 Septembre 2025 Catégorie: Cybersécurité & Société
Représentation de la désinformation sur les réseaux sociaux affectant la cohésion sociale en RDC
La circulation rapide de fausses informations visuelles et sonores met en danger les communautés qui dépendent de la confiance.

Aujourd'hui, l'Internet et des outils comme l'Intelligence Artificielle (IA) permettent de créer des images, des vidéos et des voix qui semblent vraies, mais qui sont totalement fausses. On appelle ces fabrications des « Deepfakes ».

En République Démocratique du Congo, surtout dans nos villages où l'information passe souvent par les téléphones, des plateformes comme WhatsApp et Facebook deviennent des autoroutes pour ces faux contenus. Le grand danger, c'est qu'ils peuvent enflammer rapidement des tensions déjà existantes entre communautés, familles ou groupes politiques, en utilisant la confiance que nous avons les uns envers les autres.

1. La menace sur la sécurité et la vie communautaire

Les deepfakes sont souvent utilisés pour manipuler les émotions et pousser les gens à l'affrontement. Un faux message audio ou une image sortie de son contexte peuvent déclencher une attaque.

Le faux audio qui sonne vrai (Deepfake vocal)

Imaginez un message vocal partagé sur WhatsApp, qui a exactement la voix d'un chef coutumier respecté ou d'un pasteur, disant :

Exemple : « Mes frères, j’ai une alerte urgente. Nos voisins de l'ethnie [Y] vont nous attaquer demain soir. C'est certain, j'ai tout vu. Prenez les machettes et défendez votre terre ! »

Impact : Parce que c'est la voix d'une autorité, les gens croient immédiatement. Cette simple rumeur fabriquée par IA peut transformer une simple méfiance en un conflit armé réel et rapide.

L'image trompeuse

Une photo d'une vieille violence qui a eu lieu ailleurs dans le monde est partagée sur Facebook avec une légende en Lingala ou en Swahili disant que c'est « ce qui se passe maintenant à l'Est ».

Impact : Voir l'image fait naître la colère et l'envie de vengeance, sans que personne ne vérifie quand ni où cette photo a vraiment été prise.

2. La tricherie politique et électorale

Les élections sont une période à haut risque. La désinformation vise à rendre le processus chaotique ou à salir l'image des candidats.

Fausses instructions de vote

Un communiqué faux, mais qui imite parfaitement le style de la CENI (Commission Électorale Nationale Indépendante), annonce :

Exemple : « URGENT – Vote annulé dans notre territoire. Seuls les électeurs qui ont une carte 'rouge' pourront voter cet après-midi à 16h. »

Impact : Les électeurs se démobilisent ou votent mal, et cela sème le doute sur la légitimité des résultats, menant souvent à des manifestations violentes.

3. La méfiance envers l'aide et la santé

Même l'aide humanitaire et les campagnes de santé sont attaquées par les rumeurs.

Rumeurs sur les vaccins ou l’aide alimentaire

Un faux témoignage vidéo créé par IA, montrant quelqu'un qui prétend être tombé malade après un vaccin, est partagé. Ou un message dit que :

Exemple : « L’aide alimentaire qu’on nous donne est un poison des étrangers. Jetez toute la farine de maïs que vous avez reçue ! »

Impact : Les familles refusent l'aide vitale dont elles ont besoin, et elles deviennent hostiles envers les équipes médicales et humanitaires. Cela aggrave les crises sanitaires (comme Ebola ou le choléra).

4. Pourquoi nos villages sont-ils vulnérables ?

Cette menace est amplifiée par trois facteurs principaux dans nos zones rurales :

  • La force de la parole (Confiance) : Si un message vient de la famille, d'un oncle, ou du pasteur, on ne remet jamais en question sa véracité. La confiance personnelle est plus forte que la vérité.
  • La barrière du numérique (Analphabétisme) : Beaucoup de gens ne savent pas comment vérifier une image, ou qu'un robot (IA) peut créer une fausse vidéo. Ils pensent : « Si je l'ai vu, c'est que c'est vrai. »
  • L'effet Deepfake localisé : L'IA peut désormais parler parfaitement nos langues locales (tshiluba, lingala, swahili), ce qui rend les faux contenus beaucoup plus convaincants que s'ils étaient en français.

5. Les solutions adaptées à la réalité congolaise

Pour se défendre, nous ne devons pas seulement compter sur la technologie. Nous devons utiliser ce qui fonctionne déjà chez nous.

Utiliser nos outils locaux

  • Le pouvoir de la Radio Communautaire : La radio est le média le plus fiable au village. Les journalistes et leaders doivent utiliser la radio pour démystifier les rumeurs et les faux contenus, en parlant dans la langue du terroir.
  • L'Éducation Critique : Il faut apprendre aux gens une seule chose simple : la « Règle des Trois Sources ». Avant de croire une information WhatsApp, demandez-vous : est-ce que j'ai entendu cela à la radio ? Est-ce qu'un notable m'en a parlé ? Est-ce que la source officielle (CENI, Médecins, Chef) l'a confirmé ? Si la réponse est non, ne partagez pas !

Responsabilité des plateformes (Facebook/Meta)

Les entreprises comme Meta (qui gère Facebook et WhatsApp) doivent faire plus :

  • Modération en langues locales : Elles doivent engager des Congolais pour vérifier les messages en Tshiluba et Lingala, car elles ne le font pas assez.
  • Signalement simplifié : Le bouton pour signaler un faux contenu doit être très simple et visible pour tous, même pour ceux qui ne savent pas lire.

Conclusion Les Deepfakes et l'IA sont des outils puissants qui, via WhatsApp et Facebook, peuvent briser la paix et la cohésion sociale dans les zones rurales de la RDC. Le danger n'est pas le téléphone, mais l'incapacité à faire la différence entre la vérité et le faux contenu. En combinant l'autorité de la radio, une éducation simple et pratique, et la pression sur les plateformes, nous pouvons armer nos communautés contre cette menace et préserver l'unité de nos villages.

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